Quelles limites ?
Si les bénéfices de la notation sont bien réels pour l’entreprise, il faut néanmoins être conscient de ses limites. Pour être actionnable, la note doit tout d’abord être élaborée grâce à un processus explicable et transparent en termes de données collectées, de pondération utilisée et d’indicateurs. Une note « boîte noire » ne servirait strictement à rien… Autre limite : la note ne porte, la plupart du temps, que sur des données observables depuis l’extérieur et sur un nombre d’indicateurs limité. Processus et comportements ne sont donc pas pris en compte. La note est par ailleurs élaborée principalement à partir de l’analyse des vulnérabilités de l’entreprise. Les menaces, c’est à dire le contexte interne ou externe, ne sont pas ou peu pris en compte. Enfin, la comparaison n’a logiquement de sens et d’utilité qu’entre organisations comparables (secteurs d’activité, surface d’exposition, taille…).
La notation doit donc respecter un certain nombre de principes. C’est la raison pour laquelle une quarantaine de grandes entreprises américaines se sont accordées en juillet 2017 avec les principales agences de notation en cybersécurité sur quelques principes et bonnes pratiques. Parmi ceux-ci : la transparence, la gestion des contentieux via un système de médiation, l’indépendance et la confidentialité. Après la fuite du rapport de BitSight sur Equifax dans les médias, ce dernier point suscite d’ailleurs un débat : la note d’une société doit-elle être publique ? Difficile en effet d’imaginer que la note puisse rester confidentielle longtemps compte tenu de la dimension virale du phénomène. Les entreprises bien notées pourraient même y voir un intérêt pour valoriser leur engagement en matière de sécurité, ce qui aurait un effet vertueux sur le niveau de sécurité global. Il n’en demeure pas moins un vrai risque de confidentialité, non sur les notes, mais sur les informations techniques ayant permis d’élaborer la note. Même si ces informations sont librement accessibles, leur concentration en un point unique permettrait à un pirate qui réussirait à y accéder de disposer d’une véritable cartographie des points sensibles d’une entreprise, voire d’un pays.
Quels risques ?
Ce défi technique se double d’un enjeu majeur en termes de souveraineté du fait de l’oligopole américain qui s’est constitué depuis 3 ans. « Il existe seulement deux puissances capables de détruire l’économie d’un pays : l’aviation américaine sous un tapis de bombes… et Moody’s en dégradant sa notation », disait-on dans les années 70. Certes, la crédibilité des agences financière s’est un peu émoussée avec la crise des subprimes, mais leur pouvoir normatif reste bien réel. Il en va de même en matière de cybersécurité : la notation pourrait être instrumentalisée pour des raisons politiques et financières, pour favoriser telle ou telle entreprise dans l’obtention d’un contrat, pour minorer la valeur d’une entreprise dans une opération de fusion-acquisition, pour obérer l’attractivité économique d’un pays etc. Faute d’agences européennes, la notation de cybersécurité pourrait donc devenir demain un nouvel outil au service de la domination commerciale américaine, à l’image du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977 qui s’est progressivement imposé comme la norme universelle en matière de conformité éthique et financière. Mieux vaut donc s’emparer rapidement du sujet pour ne pas dépendre uniquement d’agences américaines et créer un standard de notation européen. Une nouvelle agence, CyRating, vient d’ailleurs de naitre en France avec une ambition résolument européenne.
Guillaume Tissier, Directeur Général, CEIS